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Le Temps (Suisse)
Dans l’élevage laitier, le sperme de taureau vaut de l’or
<img src="https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/a34f4e8d-4bad-463a-8fc8-af0b2d29d75e/medium"; /><p>L’insémination artificielle et le séquençage génomique ont bouleversé les pratiques de l'élevage en Suisse. Les paillettes du congélateur ont remplacé le taureau reproducteur. Bienvenue dans un marché en or, où les catalogues exhibent autant les atouts morphologiques de l’animal que son potentiel génétique</p><p>A l’occasion du SwissExpo, le plus grand show laitier d’Europe, qui s’est tenu à Palexpo à Genève en janvier dernier, les visiteurs pouvaient admirer les reines, la crème de la crème bovine. Mais aussi découvrir des robots de traite dernier cri, des suppléments de vidange utérine ou encore l’Eye Breed 2.0, pistolet à la douille impressionnante et «première technologie mondiale permettant d’inséminer une vache sans fouille rectale».</p><p>Il était également offert de gagner, via un jeu-concours, cinq doses de sperme du taureau Flintcombe PP Red. L’ADN de fringants Red Holstein a été soigneusement sélectionné pour garantir l’absence de cornes de la descendance. Prix du lot: 390 fr. Tous les distributeurs suisses de semences bovines sont présents à Palexpo, et ce n’est pas un hasard: dans le salon, on scrute autant le pis gonflé et la ligne de dos ébouriffée au sèche-cheveux, que la semence des spécimens. Bienvenue dans le monde fabuleux de l’insémination artificielle bovine.</p>### «Les taureaux de village, c’est de l’histoire ancienne»
Dans les campagnes suisses, les taureaux reproducteurs sont peu à peu délaissés au profit des paillettes, ces conditionnements à semences en forme de paille. Finies les saillies naturelles, place à l’insémination artificielle (IA). Selon Swissherdbook, la plus grande fédération suisse d’élevage qui suit environ 40% des bovins laitiers, il y a désormais neuf fois plus d’IA que de saillies naturelles dans les exploitations laitières – mais toutes ne se concrétisent pas en naissance.
Depuis son avènement il y a déjà quatre décennies, la paillette est de plus en plus plébiscitée, au point de constituer aujourd’hui un incontournable pour assurer le renouvellement des 600 000 vaches laitières du pays. Quant au nombre de veaux laitiers mâles, destinés à la monte, il n’a cessé de fondre depuis des décennies. D’après les relevés de Swissherdbook, ils sont deux fois moins nombreux qu’il y a 20 ans.
<section><div style="left: 0; width: 100%; height: 575px; position: relative;"><iframe src="https://flo.uri.sh/story/2235057/embed"; style="top: 0; left: 0; width: 100%; height: 100%; position: absolute; border: 0;" allowfullscreen scrolling="no"></iframe></div></section>
«Les taureaux de villages, utilisés par plusieurs exploitations, c’est de l’histoire ancienne, celle du père de mon mari, il y a 40 ans», confirme Sabine Bourgeois Bach, productrice de lait à Carrouge (VD). Chaque année, l’éleveuse insémine elle-même environ un tiers de ses 160 vaches pour la remonte – le remplacement du cheptel. Et n’utilise donc aucun taureau: «Ils peuvent être dangereux pour les employés et se battent entre eux, il y a tout le temps des accidents.» La paillette apporte donc une meilleure sécurité pour les éleveurs, mais aussi pour la vache, qui peut être blessée pendant la monte. Sans compter le gain de place et de santé, car moins d’infections sont transmises lors de la saillie.
![Semences de paillettes](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/44c07e86-0af3-4132-a316-c72ca325a017 "Semences de paillettes")
### Plus d’un million de doses vendues en 2022 par Swissgenetics
Recourir à l’IA, c’est aussi «augmenter la variabilité génétique du troupeau», ajoute José Sabin, du service clientèle de Select Star, deuxième acteur suisse de la semence de taureaux, également présent à SwissExpo. «Il faut changer régulièrement les mâles d’une exploitation, sinon on a des problèmes de concentration génétique voire de consanguinité… On l’a vu avec les familles royales européennes», plaisante le responsable client.
En Suisse, chaque unité de paillettes se vend «entre 30 et 80 francs en moyenne, et jusqu’à 130 s’il s’agit d’un taureau laitier exceptionnel», indique Matthias Schelling, directeur général par intérim chez Swissgenetics. Il s’agit du leader helvétique en la matière, avec près de trois quarts des parts de marché national. Le marché du sperme bovin est surtout régi par la loi de l’offre et de la demande: «Une dose peut atteindre 150 francs… Facile», souligne à SwissExpo la démonstratrice de pistolet inséminateur, sourire en coin. Elle travaille pour LGC, une autre entreprise suisse d’équipements et de semences.
En 2022, grâce à ses quelque 200 taureaux, Swissgenetics a vendu plus de 830 000 doses en Suisse et 500 000 à l’étranger, pour un chiffre d’affaires d’environ 61 millions de francs. Un résultat qui reste cependant modeste en comparaison au marché mondial, évalué à 2 milliards de dollars, avec l’Amérique du Nord en tête, taille des cheptels oblige.
### Jusqu’à 15 millions de francs de paillettes pour les meilleurs
En théorie, le nombre potentiel de doses produites par animal est illimité. Certains taureaux ont d’ailleurs défrayé la chronique, [comme Jocko-Besné](https://www.ouest-france.fr/bretagne/lhommage-jocko-le-taureau-aux-400-000-filles-1595768), avec 1,7 million de doses et 300 000 génisses à son actif. Selon Matthias Schelling, atteindre la centaine de milliers de doses serait toutefois une exception – ce qui représenterait déjà un chiffre d’affaires variant entre 2 millions et 15 millions de francs par animal. La taurellerie de Swissgenetics, située à Mülligen (AG), est d’ailleurs un lieu difficile d’accès – nous n’avons malheureusement pas pu nous y rendre. «C’est toujours un risque d’autoriser l’accès à des personnes extérieures, parce que nos taureaux sont tenus dans un statut sanitaire très haut», explique le chargé de communication de Swissgenetics.
![Jocko_Besne Jocko-Besné, né le 29 août 1994 dans le Morbihan et mort le 7 mars 2012 en Loire-Atlantique, est un taureau de la race Prim'Holstein. Qualifié de géniteur d'exception1, il est considéré comme le troisième géniteur le plus important de sa race, dû au nombre de ses descendantes, estimé entre 300 000 et 400 000 vaches. — © DR](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/cf7852cc-616f-4e21-997a-d7b45b407856 "Jocko\_Besne Jocko-Besné, né le 29 août 1994 dans le Morbihan et mort le 7 mars 2012 en Loire-Atlantique, est un taureau de la race Prim'Holstein. Qualifié de géniteur d'exception1, il est considéré comme le troisième géniteur le plus important de sa race, dû au nombre de ses descendantes, estimé entre 300 000 et 400 000 vaches. — © DR")
Les candidats ne sont plus seulement sélectionnés sur des critères morphologiques et leur pedigree, mais également en fonction de leurs gènes. Le premier séquençage d’un génome bovin en 2009 a révolutionné le secteur. Les entreprises ont réussi à associer des traits phénotypiques – présence de cornes, largeur du bassin, robustesse des sabots – à des variations d’une paire de bases dans l’ADN (appelées polymorphisme nucléotidique ou SNP).
Dans les brochures, des centaines de mâles laitiers sont ainsi exhibés, en photo et sous toutes les coutures génomiques, avec un nombre impressionnant d’indicateurs de morphologie, de production (quantité, taux de protéines dans le lait…). On sait même qu’untel convient mieux au bio, à la pâture ou l’usage d’un robot de traite. L’ensemble de ces traits est réuni en «valeurs d’élevage», soit le potentiel héréditaire de caractères économiquement intéressants.
Quels critères retiennent en priorité l’attention des éleveurs dans ces catalogues? «Ils cherchent des vaches qui vont vivre longtemps et produisent un lait de bonne qualité, avec un bon taux de caséine et matière grasse», répond José Sabin, de Select Star. Il se définit lui-même comme un chasseur de têtes. Son objectif: trouver le bon match bovin à l’éleveur, dans l’objectif de «réaliser une bonne expérience». Tout un programme.
### «Que la meilleure gagne!»
Les vendeurs de semences sont même en mesure de simuler des «accouplements virtuels» afin d’évaluer le potentiel génomique d’un croisement, ou d’anticiper de potentiels problèmes de consanguinité entre individus. Ces savants calculs ne sont toutefois pas infaillibles: «Il n’y a jamais de garantie totale de résultat, car les caractéristiques n’indiquent pas la force de transmission des gènes», nuance José Sabin. Une incertitude vérifiée en scrutant le génome de la descendance – et cela, aussi, se paie.
A Carrouge, Sabine Bourgeois Bach feuillette les catalogues des distributeurs de paillettes pour trouver la perle rare. «Il faut pas mal trier et faire des choix!» Avant tout, l’éleveuse scrute les critères morphologiques – un gabarit pas trop grand, de bonnes pattes – et de santé – bonne fertilité, peu d’infections du pis. Le tempérament, aussi, compte: «On veut des animaux débrouilles, adaptés au système de pâturage. On préfère les vaches à caractères plutôt que les gentilles», rit la Vaudoise. La moitié de son cheptel se compose de Holstein, le reste de Montbéliardes et de Kiwi Cross, une race néo-zélandaise.
<section class="post__read-more">Lire aussi : <a href="/articles/vivre-lalpage-paradis.html">Vivre à l’alpage, le paradis?</a></section>
Pour agencer son troupeau, l’agricultrice se fixe une règle d’or. «Que la meilleure gagne! On ne fait pas de fixette comme avec les marques de voitures.» Sabine reste néanmoins attentive à conserver une certaine biodiversité dans son troupeau, car «entre l’herbe verte du printemps, la sécheresse d’été ou les foins, certaines vaches tirent leur épingle du jeu à certains moments de l’année, plutôt qu’à d’autres».
### «C’est comme le cinéma: seuls quelques acteurs deviennent des stars»
L’IA lui permet aussi de s’offrir des taureaux suédois ou américains en choisissant des paillettes venant de l’autre bout du pays, voire du monde. «J’ai déjà commandé via Swissgenetics du sperme provenant de la Scandinavie ou l’Irlande. On est très libre en Suisse en matière d’importations de semences, par rapport à nos voisins français, du moment que les normes sanitaires sont respectées.» Il est loin le temps où chaque IA nécessitait l’accord préalable des autorités, où la Suisse n’acceptait la présence sur son territoire que de quatre races bovines, et faisait fermer le premier centre d’IA au Crêt-du-Locle, alors illégal. Au début des années 1960, la «guerre des vaches» faisait rage, et la contrebande de Montbéliardes allait bon train dans le Jura vaudois.
Comme d’autres secteurs avant lui, le marché du sperme bovin s’est libéralisé. Aujourd’hui, le leader suisse de la semence bovine ne propose pas moins d’une cinquantaine de races, avec dix programmes indigènes – comprendre, des veaux nés et élevés en Suisse, achetés à des agriculteurs contre des royalties. La sélection est rude: sur dix à quinze veaux présélectionnés par Swissgenetics, un seul sera effectivement acheté par l’entreprise. «C’est un peu comme le monde du cinéma: seuls quelques acteurs percent et deviennent des stars», illustre non sans humour José Sabin.
<section class="post__read-more">Lire aussi: <a href="/articles/holstein-vache-conquis-monde">Holstein, la vache qui a conquis le monde</a></section>
Parmi ces stars, on compte Dateline, un Holstein de l’américain Alta Genetics, importé par LGC, qui «fait un énorme buzz, avec plus de 11 000 filles à son actif, qui gagnent beaucoup d’expositions et produisent beaucoup», signale fièrement notre démonstratrice de pistolet. Chez Select Star, on met en avant Avatar, un Red Holstein dont les filles «sont bien plantées dans leurs aplombs». Par leur haute production laitière, ces deux races ont conquis la Suisse et le reste du monde.
<section><div style="left: 0; width: 100%; height: 575px; position: relative;"><iframe src="https://flo.uri.sh/visualisation/16975118/embed"; style="top: 0; left: 0; width: 100%; height: 100%; position: absolute; border: 0;" allowfullscreen scrolling="no"></iframe></div></section>
Il y a en revanche de fortes chances que Dateline, Avatar, Flintcombe et ces autres étoiles bovines ne soient plus de ce monde: «On est plutôt dans l’exception lorsque le taureau est encore en vie», pose sobrement Matthias Schelling. La vie des producteurs de semences, aussi jouissive puisse-t-elle être, reste de courte durée: le séjour à Mülligen dure de deux à trois mois, selon le stock à fournir, voire jusqu’à deux ans, pour les stars les plus demandées. Ensuite, c’est retour chez l’éleveur, ou direction l’abattoir. Le tournus est donc important, avec une centaine de nouveaux pensionnaires chaque année, plus jeunes et, surtout, disposant d’un meilleur profil génomique. La paillette survivra à son propriétaire grâce à l’azote liquide, qui offre des décennies de conservation. Ainsi, la plus ancienne dose vendue chez Swissgenetics appartient à un Red Holstein des années 80.
Dans un marché mondial aux milliards de doses, la Suisse aurait aussi un atout à jouer. Swissgenetics évoque le succès des Simmental, des Brown Suisse et Brunes originales dans le marché de niche des vaches robustes, en particulier en Amérique du Sud et Amérique centrale. Ces deux races, inscrites au Herd-Book depuis la fin du XIXe siècle, s’avèrent très adaptées aux conditions difficiles de haute altitude et basse température retrouvées dans ces régions. L’entreprise a même réussi à sélectionner une robe noire de Simmental, habituellement fauve, pour une meilleure adaptation à la luminosité équatoriale.
### La dose sexée enfonce le clou
Retour à SwissExpo, à Genève. Il est encore possible par tirage au sort de gagner le sperme de Flintcombe PP Red. Sur le bulletin de participation apparaît un détail qui n’en est pas un: «dose sexée». Car après la sélection génomique, le secteur a connu une seconde révolution: le sexage des semences. La technique permet de séparer les spermatozoïdes porteurs des chromosomes X de ceux ayant un Y… et donc de choisir le sexe du veau, avec une fiabilité de 90%. Une aubaine pour le secteur: non seulement chaque descendante produira du lait, mais on s’évite d’envoyer en boucherie des mâles qui, de toute manière, «présentent moins d’intérêt que leurs homonymes de race à viande en raison de leurs performances bouchères moins élevées», explique Mathilde Reverchon Hans-Moëvi, responsable de la production des labels et de la durabilité chez Vaches mère Suisse, la faîtière de l’élevage de vaches allaitantes.
Inventé dans les années 1980 aux Etats-Unis, le sexage des semences connaît une explosion des demandes depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, plus d’une paillette sur deux vendues par Swissgenetics est une dose sexée. Dans les fermes suisses, la tendance est désormais au _sexed on the best, beef on the rest –_ «doses sexées pour les meilleures, et races à viande pour les autres». Soit inséminer le cheptel moins prestigieux avec des doses de races à viande, non sexées (moins onéreuses). Les femelles obtenues pourront être vendues comme futures vaches allaitantes ou, comme les mâles, pour l’engraissement. Finalement, «les taureaux laitiers perdent encore plus de leur intérêt dans cette configuration», analyse Alex Barenco, qui mise sur une stabilisation à bas niveau de l’effectif.
Dans l’élevage allaitant, ils restent au contraire très présents, selon Mathilde Reverchon Hans-Moëvi: «Les veaux mâles seront toujours vendus à bon prix, pour l’engraissement ou pour devenir des taureaux reproducteurs. Durant la période de végétation, les vaches sont en liberté au pâturage, alors il est plus pratique que le taureau se débrouille plutôt que de les inséminer. Il reste le meilleur détecteur de vaches à saillir.»
Ceci étant dit, Sabine Bourgeois Bach ne croit pas que les super paillettes uniformiseront le paysage bovin. «Certains éleveurs voudront des vaches à très haut potentiel laitier, d’autres des animaux résilients en montagne, d’autres des individus adaptés à l’exploitation bio… Il n’y a pas de race idéale.» Et l’éleveuse de souligner qu’un cheptel diversifié offre une meilleure résilience aux variations des saisons.
Par ailleurs, l’IA s’avère également un outil précieux pour sauver les races bovines menacées: la fondation suisse ProSpecieRara, qui vise la diversité patrimoniale et génétique des races indigènes, a recours aux paillettes dans l’objectif d’encourager l’élevage d’Evolénardes et de Grises rhétiques. La fondation a été créée au début des années 1980, à la suite de la disparition totale de tachetée noire fribourgeoise, croisée avec la Holstein jusqu’à sa perte.
Chaque année, la structure organise avec les entreprises de semences le prélèvement de paillette de deux taureaux de ces races, si possible très distants génétiquement, pour les inscrire au Herd-Book et les mettre à disposition des éleveurs. Les fondateurs historiques de ProSpecieRara ne voulaient pas de l’IA, retrace Philippe Ammann, le directeur général adjoint. Mais le paradigme a changé: «Pour trouver suffisamment d’éleveurs pour ces races, il faut vivre avec son temps et travailler, aussi, avec des taureaux sortis du frigo.»
https://www.letemps.ch/articles/dans-l-elevage-laitier-le-sperme-de-taureau-vaut-de-l-or
#Presse #letemps #Suisse
Dans l’élevage laitier, le sperme de taureau vaut de l’or
<img src="https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/a34f4e8d-4bad-463a-8fc8-af0b2d29d75e/medium"; /><p>L’insémination artificielle et le séquençage génomique ont bouleversé les pratiques de l'élevage en Suisse. Les paillettes du congélateur ont remplacé le taureau reproducteur. Bienvenue dans un marché en or, où les catalogues exhibent autant les atouts morphologiques de l’animal que son potentiel génétique</p><p>A l’occasion du SwissExpo, le plus grand show laitier d’Europe, qui s’est tenu à Palexpo à Genève en janvier dernier, les visiteurs pouvaient admirer les reines, la crème de la crème bovine. Mais aussi découvrir des robots de traite dernier cri, des suppléments de vidange utérine ou encore l’Eye Breed 2.0, pistolet à la douille impressionnante et «première technologie mondiale permettant d’inséminer une vache sans fouille rectale».</p><p>Il était également offert de gagner, via un jeu-concours, cinq doses de sperme du taureau Flintcombe PP Red. L’ADN de fringants Red Holstein a été soigneusement sélectionné pour garantir l’absence de cornes de la descendance. Prix du lot: 390 fr. Tous les distributeurs suisses de semences bovines sont présents à Palexpo, et ce n’est pas un hasard: dans le salon, on scrute autant le pis gonflé et la ligne de dos ébouriffée au sèche-cheveux, que la semence des spécimens. Bienvenue dans le monde fabuleux de l’insémination artificielle bovine.</p>### «Les taureaux de village, c’est de l’histoire ancienne»
Dans les campagnes suisses, les taureaux reproducteurs sont peu à peu délaissés au profit des paillettes, ces conditionnements à semences en forme de paille. Finies les saillies naturelles, place à l’insémination artificielle (IA). Selon Swissherdbook, la plus grande fédération suisse d’élevage qui suit environ 40% des bovins laitiers, il y a désormais neuf fois plus d’IA que de saillies naturelles dans les exploitations laitières – mais toutes ne se concrétisent pas en naissance.
Depuis son avènement il y a déjà quatre décennies, la paillette est de plus en plus plébiscitée, au point de constituer aujourd’hui un incontournable pour assurer le renouvellement des 600 000 vaches laitières du pays. Quant au nombre de veaux laitiers mâles, destinés à la monte, il n’a cessé de fondre depuis des décennies. D’après les relevés de Swissherdbook, ils sont deux fois moins nombreux qu’il y a 20 ans.
<section><div style="left: 0; width: 100%; height: 575px; position: relative;"><iframe src="https://flo.uri.sh/story/2235057/embed"; style="top: 0; left: 0; width: 100%; height: 100%; position: absolute; border: 0;" allowfullscreen scrolling="no"></iframe></div></section>
«Les taureaux de villages, utilisés par plusieurs exploitations, c’est de l’histoire ancienne, celle du père de mon mari, il y a 40 ans», confirme Sabine Bourgeois Bach, productrice de lait à Carrouge (VD). Chaque année, l’éleveuse insémine elle-même environ un tiers de ses 160 vaches pour la remonte – le remplacement du cheptel. Et n’utilise donc aucun taureau: «Ils peuvent être dangereux pour les employés et se battent entre eux, il y a tout le temps des accidents.» La paillette apporte donc une meilleure sécurité pour les éleveurs, mais aussi pour la vache, qui peut être blessée pendant la monte. Sans compter le gain de place et de santé, car moins d’infections sont transmises lors de la saillie.
![Semences de paillettes](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/44c07e86-0af3-4132-a316-c72ca325a017 "Semences de paillettes")
### Plus d’un million de doses vendues en 2022 par Swissgenetics
Recourir à l’IA, c’est aussi «augmenter la variabilité génétique du troupeau», ajoute José Sabin, du service clientèle de Select Star, deuxième acteur suisse de la semence de taureaux, également présent à SwissExpo. «Il faut changer régulièrement les mâles d’une exploitation, sinon on a des problèmes de concentration génétique voire de consanguinité… On l’a vu avec les familles royales européennes», plaisante le responsable client.
En Suisse, chaque unité de paillettes se vend «entre 30 et 80 francs en moyenne, et jusqu’à 130 s’il s’agit d’un taureau laitier exceptionnel», indique Matthias Schelling, directeur général par intérim chez Swissgenetics. Il s’agit du leader helvétique en la matière, avec près de trois quarts des parts de marché national. Le marché du sperme bovin est surtout régi par la loi de l’offre et de la demande: «Une dose peut atteindre 150 francs… Facile», souligne à SwissExpo la démonstratrice de pistolet inséminateur, sourire en coin. Elle travaille pour LGC, une autre entreprise suisse d’équipements et de semences.
En 2022, grâce à ses quelque 200 taureaux, Swissgenetics a vendu plus de 830 000 doses en Suisse et 500 000 à l’étranger, pour un chiffre d’affaires d’environ 61 millions de francs. Un résultat qui reste cependant modeste en comparaison au marché mondial, évalué à 2 milliards de dollars, avec l’Amérique du Nord en tête, taille des cheptels oblige.
### Jusqu’à 15 millions de francs de paillettes pour les meilleurs
En théorie, le nombre potentiel de doses produites par animal est illimité. Certains taureaux ont d’ailleurs défrayé la chronique, [comme Jocko-Besné](https://www.ouest-france.fr/bretagne/lhommage-jocko-le-taureau-aux-400-000-filles-1595768), avec 1,7 million de doses et 300 000 génisses à son actif. Selon Matthias Schelling, atteindre la centaine de milliers de doses serait toutefois une exception – ce qui représenterait déjà un chiffre d’affaires variant entre 2 millions et 15 millions de francs par animal. La taurellerie de Swissgenetics, située à Mülligen (AG), est d’ailleurs un lieu difficile d’accès – nous n’avons malheureusement pas pu nous y rendre. «C’est toujours un risque d’autoriser l’accès à des personnes extérieures, parce que nos taureaux sont tenus dans un statut sanitaire très haut», explique le chargé de communication de Swissgenetics.
![Jocko_Besne Jocko-Besné, né le 29 août 1994 dans le Morbihan et mort le 7 mars 2012 en Loire-Atlantique, est un taureau de la race Prim'Holstein. Qualifié de géniteur d'exception1, il est considéré comme le troisième géniteur le plus important de sa race, dû au nombre de ses descendantes, estimé entre 300 000 et 400 000 vaches. — © DR](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/cf7852cc-616f-4e21-997a-d7b45b407856 "Jocko\_Besne Jocko-Besné, né le 29 août 1994 dans le Morbihan et mort le 7 mars 2012 en Loire-Atlantique, est un taureau de la race Prim'Holstein. Qualifié de géniteur d'exception1, il est considéré comme le troisième géniteur le plus important de sa race, dû au nombre de ses descendantes, estimé entre 300 000 et 400 000 vaches. — © DR")
Les candidats ne sont plus seulement sélectionnés sur des critères morphologiques et leur pedigree, mais également en fonction de leurs gènes. Le premier séquençage d’un génome bovin en 2009 a révolutionné le secteur. Les entreprises ont réussi à associer des traits phénotypiques – présence de cornes, largeur du bassin, robustesse des sabots – à des variations d’une paire de bases dans l’ADN (appelées polymorphisme nucléotidique ou SNP).
Dans les brochures, des centaines de mâles laitiers sont ainsi exhibés, en photo et sous toutes les coutures génomiques, avec un nombre impressionnant d’indicateurs de morphologie, de production (quantité, taux de protéines dans le lait…). On sait même qu’untel convient mieux au bio, à la pâture ou l’usage d’un robot de traite. L’ensemble de ces traits est réuni en «valeurs d’élevage», soit le potentiel héréditaire de caractères économiquement intéressants.
Quels critères retiennent en priorité l’attention des éleveurs dans ces catalogues? «Ils cherchent des vaches qui vont vivre longtemps et produisent un lait de bonne qualité, avec un bon taux de caséine et matière grasse», répond José Sabin, de Select Star. Il se définit lui-même comme un chasseur de têtes. Son objectif: trouver le bon match bovin à l’éleveur, dans l’objectif de «réaliser une bonne expérience». Tout un programme.
### «Que la meilleure gagne!»
Les vendeurs de semences sont même en mesure de simuler des «accouplements virtuels» afin d’évaluer le potentiel génomique d’un croisement, ou d’anticiper de potentiels problèmes de consanguinité entre individus. Ces savants calculs ne sont toutefois pas infaillibles: «Il n’y a jamais de garantie totale de résultat, car les caractéristiques n’indiquent pas la force de transmission des gènes», nuance José Sabin. Une incertitude vérifiée en scrutant le génome de la descendance – et cela, aussi, se paie.
A Carrouge, Sabine Bourgeois Bach feuillette les catalogues des distributeurs de paillettes pour trouver la perle rare. «Il faut pas mal trier et faire des choix!» Avant tout, l’éleveuse scrute les critères morphologiques – un gabarit pas trop grand, de bonnes pattes – et de santé – bonne fertilité, peu d’infections du pis. Le tempérament, aussi, compte: «On veut des animaux débrouilles, adaptés au système de pâturage. On préfère les vaches à caractères plutôt que les gentilles», rit la Vaudoise. La moitié de son cheptel se compose de Holstein, le reste de Montbéliardes et de Kiwi Cross, une race néo-zélandaise.
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Pour agencer son troupeau, l’agricultrice se fixe une règle d’or. «Que la meilleure gagne! On ne fait pas de fixette comme avec les marques de voitures.» Sabine reste néanmoins attentive à conserver une certaine biodiversité dans son troupeau, car «entre l’herbe verte du printemps, la sécheresse d’été ou les foins, certaines vaches tirent leur épingle du jeu à certains moments de l’année, plutôt qu’à d’autres».
### «C’est comme le cinéma: seuls quelques acteurs deviennent des stars»
L’IA lui permet aussi de s’offrir des taureaux suédois ou américains en choisissant des paillettes venant de l’autre bout du pays, voire du monde. «J’ai déjà commandé via Swissgenetics du sperme provenant de la Scandinavie ou l’Irlande. On est très libre en Suisse en matière d’importations de semences, par rapport à nos voisins français, du moment que les normes sanitaires sont respectées.» Il est loin le temps où chaque IA nécessitait l’accord préalable des autorités, où la Suisse n’acceptait la présence sur son territoire que de quatre races bovines, et faisait fermer le premier centre d’IA au Crêt-du-Locle, alors illégal. Au début des années 1960, la «guerre des vaches» faisait rage, et la contrebande de Montbéliardes allait bon train dans le Jura vaudois.
Comme d’autres secteurs avant lui, le marché du sperme bovin s’est libéralisé. Aujourd’hui, le leader suisse de la semence bovine ne propose pas moins d’une cinquantaine de races, avec dix programmes indigènes – comprendre, des veaux nés et élevés en Suisse, achetés à des agriculteurs contre des royalties. La sélection est rude: sur dix à quinze veaux présélectionnés par Swissgenetics, un seul sera effectivement acheté par l’entreprise. «C’est un peu comme le monde du cinéma: seuls quelques acteurs percent et deviennent des stars», illustre non sans humour José Sabin.
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Parmi ces stars, on compte Dateline, un Holstein de l’américain Alta Genetics, importé par LGC, qui «fait un énorme buzz, avec plus de 11 000 filles à son actif, qui gagnent beaucoup d’expositions et produisent beaucoup», signale fièrement notre démonstratrice de pistolet. Chez Select Star, on met en avant Avatar, un Red Holstein dont les filles «sont bien plantées dans leurs aplombs». Par leur haute production laitière, ces deux races ont conquis la Suisse et le reste du monde.
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Il y a en revanche de fortes chances que Dateline, Avatar, Flintcombe et ces autres étoiles bovines ne soient plus de ce monde: «On est plutôt dans l’exception lorsque le taureau est encore en vie», pose sobrement Matthias Schelling. La vie des producteurs de semences, aussi jouissive puisse-t-elle être, reste de courte durée: le séjour à Mülligen dure de deux à trois mois, selon le stock à fournir, voire jusqu’à deux ans, pour les stars les plus demandées. Ensuite, c’est retour chez l’éleveur, ou direction l’abattoir. Le tournus est donc important, avec une centaine de nouveaux pensionnaires chaque année, plus jeunes et, surtout, disposant d’un meilleur profil génomique. La paillette survivra à son propriétaire grâce à l’azote liquide, qui offre des décennies de conservation. Ainsi, la plus ancienne dose vendue chez Swissgenetics appartient à un Red Holstein des années 80.
Dans un marché mondial aux milliards de doses, la Suisse aurait aussi un atout à jouer. Swissgenetics évoque le succès des Simmental, des Brown Suisse et Brunes originales dans le marché de niche des vaches robustes, en particulier en Amérique du Sud et Amérique centrale. Ces deux races, inscrites au Herd-Book depuis la fin du XIXe siècle, s’avèrent très adaptées aux conditions difficiles de haute altitude et basse température retrouvées dans ces régions. L’entreprise a même réussi à sélectionner une robe noire de Simmental, habituellement fauve, pour une meilleure adaptation à la luminosité équatoriale.
### La dose sexée enfonce le clou
Retour à SwissExpo, à Genève. Il est encore possible par tirage au sort de gagner le sperme de Flintcombe PP Red. Sur le bulletin de participation apparaît un détail qui n’en est pas un: «dose sexée». Car après la sélection génomique, le secteur a connu une seconde révolution: le sexage des semences. La technique permet de séparer les spermatozoïdes porteurs des chromosomes X de ceux ayant un Y… et donc de choisir le sexe du veau, avec une fiabilité de 90%. Une aubaine pour le secteur: non seulement chaque descendante produira du lait, mais on s’évite d’envoyer en boucherie des mâles qui, de toute manière, «présentent moins d’intérêt que leurs homonymes de race à viande en raison de leurs performances bouchères moins élevées», explique Mathilde Reverchon Hans-Moëvi, responsable de la production des labels et de la durabilité chez Vaches mère Suisse, la faîtière de l’élevage de vaches allaitantes.
Inventé dans les années 1980 aux Etats-Unis, le sexage des semences connaît une explosion des demandes depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, plus d’une paillette sur deux vendues par Swissgenetics est une dose sexée. Dans les fermes suisses, la tendance est désormais au _sexed on the best, beef on the rest –_ «doses sexées pour les meilleures, et races à viande pour les autres». Soit inséminer le cheptel moins prestigieux avec des doses de races à viande, non sexées (moins onéreuses). Les femelles obtenues pourront être vendues comme futures vaches allaitantes ou, comme les mâles, pour l’engraissement. Finalement, «les taureaux laitiers perdent encore plus de leur intérêt dans cette configuration», analyse Alex Barenco, qui mise sur une stabilisation à bas niveau de l’effectif.
Dans l’élevage allaitant, ils restent au contraire très présents, selon Mathilde Reverchon Hans-Moëvi: «Les veaux mâles seront toujours vendus à bon prix, pour l’engraissement ou pour devenir des taureaux reproducteurs. Durant la période de végétation, les vaches sont en liberté au pâturage, alors il est plus pratique que le taureau se débrouille plutôt que de les inséminer. Il reste le meilleur détecteur de vaches à saillir.»
Ceci étant dit, Sabine Bourgeois Bach ne croit pas que les super paillettes uniformiseront le paysage bovin. «Certains éleveurs voudront des vaches à très haut potentiel laitier, d’autres des animaux résilients en montagne, d’autres des individus adaptés à l’exploitation bio… Il n’y a pas de race idéale.» Et l’éleveuse de souligner qu’un cheptel diversifié offre une meilleure résilience aux variations des saisons.
Par ailleurs, l’IA s’avère également un outil précieux pour sauver les races bovines menacées: la fondation suisse ProSpecieRara, qui vise la diversité patrimoniale et génétique des races indigènes, a recours aux paillettes dans l’objectif d’encourager l’élevage d’Evolénardes et de Grises rhétiques. La fondation a été créée au début des années 1980, à la suite de la disparition totale de tachetée noire fribourgeoise, croisée avec la Holstein jusqu’à sa perte.
Chaque année, la structure organise avec les entreprises de semences le prélèvement de paillette de deux taureaux de ces races, si possible très distants génétiquement, pour les inscrire au Herd-Book et les mettre à disposition des éleveurs. Les fondateurs historiques de ProSpecieRara ne voulaient pas de l’IA, retrace Philippe Ammann, le directeur général adjoint. Mais le paradigme a changé: «Pour trouver suffisamment d’éleveurs pour ces races, il faut vivre avec son temps et travailler, aussi, avec des taureaux sortis du frigo.»
https://www.letemps.ch/articles/dans-l-elevage-laitier-le-sperme-de-taureau-vaut-de-l-or
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