morayner on Nostr: Je viens de voir passer un article qui déplorait la mort d'une technique de tricot ...
Je viens de voir passer un article qui déplorait la mort d'une technique de tricot propre à une région d'Angleterre, là, à propos duquel la personne qui pouète déplore que ce n'est pas une pénurie de tricotteureuses qui cause cette disparition, mais une pénurie de personnes d'accord de bosser pour trois centimes de l'heure pour un métier extrêmement technique et exigeant.
Oui, je sais pas si on se rend bien compte, aujourd'hui, avec le prêt-à-porter, qu'un bête pull tricoté par un humain, avec une laine de qualité, c'est une chaine de production qui implique trois savoir-faire (l'éleveur, le fileur, le tricoteur) et potentiellement des centaines d'heures de boulot.
Selon que je travaille avec une laine grosse ou fine, te faire un joli pull en fair isle avec des motifs compliqués sur le col, ça va me prendre de trois jours pour une laine bien bulky à deux mois pour une laine super fine, en bossant tous les jours, huit heures par jour. Si tu veux un design original, tu peux y ajouter les heures de boulot sur le patron, en y appliquant la même logique en terme de précision du fini et de complexité du design / du modèle.
________
Quand j'étais gamine, ma mère nous tricotait des pulls. Elle était douée, avec ça. C'était considéré comme un "truc de vieille" mais cette petite nana de la vingtaine y passait une bonne partie de son temps libre, dessinant des patrons originaux qui n'avaient rien de vieillot: pulls fluos aux formes abstraites, figures à la niki de saint phale, personnages de BD... Elle avait régulièrement des commentaires sur ses oeuvres et des demandes de commandes, qu'elle refusait toujours : c'est pas un métier, tricoteuse, c'est pas vraiment un truc sérieux, c'est juste un hobbie. Déjà convaincue d'être une imbécile de peu de talent, je ne suis pas certaine que malgré tout son féminisme, elle aurait pu s'affranchir à ce point de l'aura de "truc de fille qui demande pas vraiment de compétence" qu'a ce métier qui encore à ce jour est très majoritairement exercé par des femmes et considéré comme féminin.
Elle l'a bien senti, je pense, pas sûre que qui que ce soit qui lui aurait passé commande aurait réussi à l'honorer d'une rémunération appropriée.
Gamine, je pense que j'absorbais beaucoup, inconsciemment, ce message sociétal: j'ai toujours refusé qu'elle m'apprenne son art, sans trop savoir pourquoi et sans trop y réfléchir. Bon, bien sûr, ce n'est pas le tout, c'est aussi le poids de nos relations familliales tendues qui a rompu cette maille fragile (t'as vu comme je file la métaphore? j'ai le sens de la trame narrative non?), mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe et je n'ai pas envie de m'étendre dessus aujourd'hui.
Il en résulte néanmoins que si je suis devenue tricoteuse à mon tour dans le courant de la vingtaine, à un moment où d'un point de vue populaire on était à l'apogée de la considération que c'était un loisir de petite vieille chiante qui fait des pulls moches dont tu sais pas quoi faire quand mamie te les offre à noël, ce n'est pas par transmission directe...
Mais c'est peut-être bien quand même, au moins partiellement, par héritage familial.
Faut dire que, en quelques sortes, ma môman n'y mettait pas vraiment du sien non plus. Pas sa faute, mais son féminisme prenait souvent la forme de mépriser activement tout ce qui est connoté féminin. Par ailleurs bricoleuse de vélo en balcon et retapeuse de meubles d'occase, elle nous a élevées (oui oui, toute une sororité) pour nous rendre démerdes avec une clé à molette, dans l'esprit "dans la vie, tu dois être autonome, je ne veux pas que tu aies besoin d'un homme pour t'en sortir".
En terme de démerdardise c'est une franche réussite, je suis le genre de meuf qui sait raccorder un lave-linge (et modifier l'installation sanitaire pour le faire), construire (oui construire, pas monter) une commode et est à l'aise avec un fer à souder.
Mais quand mon goût pour le tinkering m'a tout naturellement fait dériver vers des trucs qui impliquaient les arts textiles, ça n'a pas été simple d'un point de vue identitaire. C'est plutôt dissonant quand tu me croises à promener mon croisé husky avec mes rangers, ma chemise de bûcheron et mon tricot à la main. J'ai mis des années à afficher ouvertement cette partie de ma production, à la considérer comme partie intégrante de mon skillset, et à arrêter d'en avoir, au fond, un peu honte. Je n'ai toujours pas arrêté de prendre la défense de ces métiers avec beaucoup de véhémence, ni de me justifier. C'est un bout de boulot qui reste à faire.
Assez parlé de moi, mon contexte est posé. Si t'es pas mort d'ennui et que la suite t'intéresse, reste dans le coin, je continue dans un petit moment.
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Oui, je sais pas si on se rend bien compte, aujourd'hui, avec le prêt-à-porter, qu'un bête pull tricoté par un humain, avec une laine de qualité, c'est une chaine de production qui implique trois savoir-faire (l'éleveur, le fileur, le tricoteur) et potentiellement des centaines d'heures de boulot.
Selon que je travaille avec une laine grosse ou fine, te faire un joli pull en fair isle avec des motifs compliqués sur le col, ça va me prendre de trois jours pour une laine bien bulky à deux mois pour une laine super fine, en bossant tous les jours, huit heures par jour. Si tu veux un design original, tu peux y ajouter les heures de boulot sur le patron, en y appliquant la même logique en terme de précision du fini et de complexité du design / du modèle.
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Quand j'étais gamine, ma mère nous tricotait des pulls. Elle était douée, avec ça. C'était considéré comme un "truc de vieille" mais cette petite nana de la vingtaine y passait une bonne partie de son temps libre, dessinant des patrons originaux qui n'avaient rien de vieillot: pulls fluos aux formes abstraites, figures à la niki de saint phale, personnages de BD... Elle avait régulièrement des commentaires sur ses oeuvres et des demandes de commandes, qu'elle refusait toujours : c'est pas un métier, tricoteuse, c'est pas vraiment un truc sérieux, c'est juste un hobbie. Déjà convaincue d'être une imbécile de peu de talent, je ne suis pas certaine que malgré tout son féminisme, elle aurait pu s'affranchir à ce point de l'aura de "truc de fille qui demande pas vraiment de compétence" qu'a ce métier qui encore à ce jour est très majoritairement exercé par des femmes et considéré comme féminin.
Elle l'a bien senti, je pense, pas sûre que qui que ce soit qui lui aurait passé commande aurait réussi à l'honorer d'une rémunération appropriée.
Gamine, je pense que j'absorbais beaucoup, inconsciemment, ce message sociétal: j'ai toujours refusé qu'elle m'apprenne son art, sans trop savoir pourquoi et sans trop y réfléchir. Bon, bien sûr, ce n'est pas le tout, c'est aussi le poids de nos relations familliales tendues qui a rompu cette maille fragile (t'as vu comme je file la métaphore? j'ai le sens de la trame narrative non?), mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe et je n'ai pas envie de m'étendre dessus aujourd'hui.
Il en résulte néanmoins que si je suis devenue tricoteuse à mon tour dans le courant de la vingtaine, à un moment où d'un point de vue populaire on était à l'apogée de la considération que c'était un loisir de petite vieille chiante qui fait des pulls moches dont tu sais pas quoi faire quand mamie te les offre à noël, ce n'est pas par transmission directe...
Mais c'est peut-être bien quand même, au moins partiellement, par héritage familial.
Faut dire que, en quelques sortes, ma môman n'y mettait pas vraiment du sien non plus. Pas sa faute, mais son féminisme prenait souvent la forme de mépriser activement tout ce qui est connoté féminin. Par ailleurs bricoleuse de vélo en balcon et retapeuse de meubles d'occase, elle nous a élevées (oui oui, toute une sororité) pour nous rendre démerdes avec une clé à molette, dans l'esprit "dans la vie, tu dois être autonome, je ne veux pas que tu aies besoin d'un homme pour t'en sortir".
En terme de démerdardise c'est une franche réussite, je suis le genre de meuf qui sait raccorder un lave-linge (et modifier l'installation sanitaire pour le faire), construire (oui construire, pas monter) une commode et est à l'aise avec un fer à souder.
Mais quand mon goût pour le tinkering m'a tout naturellement fait dériver vers des trucs qui impliquaient les arts textiles, ça n'a pas été simple d'un point de vue identitaire. C'est plutôt dissonant quand tu me croises à promener mon croisé husky avec mes rangers, ma chemise de bûcheron et mon tricot à la main. J'ai mis des années à afficher ouvertement cette partie de ma production, à la considérer comme partie intégrante de mon skillset, et à arrêter d'en avoir, au fond, un peu honte. Je n'ai toujours pas arrêté de prendre la défense de ces métiers avec beaucoup de véhémence, ni de me justifier. C'est un bout de boulot qui reste à faire.
Assez parlé de moi, mon contexte est posé. Si t'es pas mort d'ennui et que la suite t'intéresse, reste dans le coin, je continue dans un petit moment.
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